Et voilà, la correction de la dictée noire :
Mémoires d’un nyctalope
Je m’appelle Quentin Dutour. Enfin ça, c’était avant. Quand je travaillais chez Renault.
Les débuts furent pourtant guillerets. Je prenais mon quart une trompette dans le cœur.
Et puis l’ambiance s’est plombée. J’ai déprimé. Putain d’usine !
J’ai enchaîné les arrêts de travail, les absences non justifiées. On m’a licencié. Faut dire que je braillais devant les grilles : « Les patrons, tous des assassins ! Pire que les psychopathes célèbres ! »
J’ai perdu le sommeil. Dès potron-minet, j’errais sur la plage. Assis sur les galets spartiates, j’admirais les circonvolutions des pélécanidés, des fous de Bassan, des gypaètes barbus glatissant sous la voûte éthérée. Et je pleurais.
J’ai tout perdu. Même mon nom. Je vis maintenant dans la rue. A ma manière : le jour je dors, la nuit je déambule. Comme les loups, les lynx, les hiboux et les chats, je suis nyctalope. Il me plaît d’être le vagabond des étoiles.
La vraie vie commence pour moi après minuit. A minuit cinq, je me sens à l’aise : tout est gris ou noir. Mes couleurs préférées.
Si j’étais amoureux, je lui offrirais des nymphéas noirs, fleurs évanescentes au périanthe endeuillé. Si j’avais des petits d’homme, je casserais pour eux les vitrines en nocturne, car la nuit, tous les jouets sont gris.
Il m’arrive quand même de ressentir les affres de l’anxiété. Comme si un fluide glacial coulait dans mes veines. Alors je tremble comme un vieux bonhomme décrépit. Et je me souviens du roman qui a terrifié mes années de gosse. Le titre est gravé dans ma mémoire : Nuit d’angoisse à l’île aux oiseaux. Une terrible histoire de schizophrénie, voire de paranoïa maniaco-dépressive.
Quand mes yeux pers sont fatigués, je cherche un lampadaire confortable où m’arc-bouter et je sors de mon caddy tout rouillé les précieux somnifères, l’antidote aisé à l’épouvante : les enquêtes de Nicolas Le Floch.
Ancres Noires,
23/02/2021